Retranscription des deux conférences données par IAAMV aux rencontres mondiales des logiciels libres 2008, les 4 et 5 juillet à l'IUFM de Mont-de-Marsan. Voici un texte reprenant les idées exprimées durant les deux conférences. La première, intitulée « IAAMV, ALLOS et @ntigOOne : un projet d'accessibilité par le libre pour les personnes en situation de handicap visuel », présente l'association, ses buts, ses activités, et s'adresse principalement aux utilisateurs potentiels des logiciels d'accessibilité libres pour un usage domestique. La seconde, intitulée « Application de solutions d'accessibilité libres en milieu professionnel », était tout public également, tout en étant orientée comme un appel vers les professionnels, pour une contribution au projet, sous forme de partenariat d'ordre financier ou technique. Étant l'auteur des deux conférences, je me suis à chaque fois présenté à peu près en ces mots : Jean Gilissen, responsable du projet @ntigOOne et fondateur de l'association IAAMV (informatique accessible aux aveugles et mal voyants), également fondateur et administrateur de la liste ALLOS (accessibilité des logiciels libres et open source), qui a pour but de réunir tous propos concernant les logiciels libres et leur accessibilité pour les personnes en situation de handicap visuel. Dans le travail de retranscription de la 2ème conférence, j'ai évité de répéter tout ce qui avait déjà été dit dans la première, afin de ne pas alourdir ce document. 1ère conférence (vendredi 4 juillet) : IAAMV, ALLOS et @ntigOOne : un projet d'accessibilité par le libre pour les personnes en situation de handicap visuel. Origine du projet : Décembre 2003. J'offre mes services de formateur bénévole auprès d'un club informatique lié à une association d'aveugles et malvoyants. Autoformé aux logiciels de l'époque (le lecteur vocal d'écran JAWS, le lecteur/agrandisseur ZoomText, le bureau vocal SPEAKEY, tous fonctionnant avec le système Windows) je constate vite les limites économiques et sociales à ces produits, vendus beaucoup trop cher aux personnes bénéficiaires. Je cherche aussitôt des solutions alternatives dans le monde des logiciels libres. Aucune solution d'accessibilité vraiment utilisable sur l'environnement standard du moment (Windows) n'existe à l'époque. Octobre 2005. Après quelques appels de sensibilisation auprès de l'association, et profitant d'un événement opportun (la firme qui distribue JAWS acquiert le monopole de la vente sur la France et augmente son prix de 20%), un nouvel appel obtient un meilleur soutien d'autres clubs informatiques orientés "déficients visuels", et je crée une adresse sur Yahoo pour rassembler les personnes intéressées par l'idée d'une solution d'accessibilité en logiciel libre. La liste ALLOS (accessibilité des logiciels libres et open source) est née. Plus de 100 personnes s'inscrivent en trois semaines, parmi lesquels des personnes en situation de handicap visuel, d'autres formateurs, des professionnels du logiciel d'accessibilité et des universitaires travaillant sur des domaines plus ou moins liés. En décembre, le prix de JAWS est rabaissé de 20%. Février 2006. Pour constituer un groupe de pression qui va gérer ALLOS et mener des actions de sensibilisation, il faut lui donner un statut. L'association IAAMV (pour une informatique accessible aux aveugles et mal voyants) apparaît dans le journal officiel. Les contacts avec les administrations et quelques associations ont donné peu de résultats au début. C'est surtout ALLOS qui a permis à de nombreux membres d'évoquer des projets plus dignes d'intérêt les uns que les autres. Un support financier encourageant venant de la CPAM (caisse primaire d'assurance maladie) de La Rochelle, puis du Fond Social Européen (2 jours de salaire/semaine pour le responsable du projet durant l'année 2007) ont apporté plus de crédit dans les démarches. A la demande de la Cité des Sciences de Paris, IAAMV a organisé le 29 juin 2006 une journée d'information sur l'accessibilité à l'informatique par les logiciels libres Novembre 2006. Naissance du projet "@ntigOOne". Il s'agissait, faute d'un logiciel d'accessibilité libre vraiment performant, de développer en interne un logiciel d'accessibilité prévoyant la lecture vocale et l'agrandissement de l'écran, sa distribution et son installation, la formation, et surtout un support technique professionnel pour encourager les industries, entreprises privées et publiques et administrations, à engager du personnel déficient visuel en évitant l'excuse d'un surcoût d'équipement d'adaptation (sans tenir compte des financements AGEFIPH (association pour la gestion du fond d'insertion des personnes handicapées), eux aussi concernés par cette économie). Mais l'arrivée, début 2007, du lecteur d'écran Australien NVDA (Non Video Desktop Access) a précipité l'avancée du projet @ntigOOne. Ensuite sont arrivées deux loupes également libres, et l'intégration de la synthèse libre eSpeak dans NVDA, sans oublier le paquet ORCA, destiné à l'accessibilité de Linux. Avec tous ces nouveaux venus arrivés pratiquement ensemble, sur l'espace de quelques mois, il n'était plus nécessaire de développer en interne, mais il importait plutôt de suivre le développement de ces nouvelles solutions, voire de les stimuler. ALLOS est devenue le support des utilisateurs de NVDA pour tous les pays francophones, et le nombre de membres inscrits est passé brutalement de 110 à 240. A ce niveau de la conférence, une démonstration rapide est effectuée : NVDA avec l'ancienne et la nouvelle voix de eSpeak, les 2 loupes VMG (Virtual Magnifying Glass) et ISMAG (Intelligent Screen Magnifier), une démonstration plus complète de Orca étant annoncée pour le lendemain. Reprise de la conférence. Les démonstrations ayant suscité une première réaction du public, dont une forte proportion est très motivée par l'usage de Linux plutôt que de Windows, il fallait répondre à cette question : pourquoi IAAMV ne pousse-t-elle pas sa logique de privilégier les logiciels libres en oubliant carrément le système Windows? Pourquoi IAAMV parle-telle des logiciels libres, mais en présente 4 pour Windows et un seul pour Linux? Réponse en 2 points : 1) la motivation de IAAMV est avant tout d'apporter tout de suite une solution d'accessibilité économiquement soutenable pour les personnes déficientes visuelles. Or, les bénéficiaires sont, par tradition, uniquement orientés sur le système Windows, que ce soit dans ses formations par les associations ou dans le cadre d'un emploi. Les communautés d'aveugles et malvoyants qui correspondent entre eux par Internet utilisent pratiquement toutes des outils adaptés au système Windows. Il y a donc une pratique acquise à laquelle il serait maladroit de vouloir toucher. IAAMV est partisane d'une transition en douceur. Faire goûter les bénéficiaires aux avantages des solutions libres sans trop bouleverser leurs habitudes, c'est déjà les initier au monde et à la philosophie du libre, et leur faire accepter, peut-être, une étape définitive vers le "tout libre" dès qu'ils seront prêts. C'est la même stratégie employée à la Gendarmerie nationale, qui, la première en France, a migré ses 70000 postes informatiques progressivement, en adoptant d'abord Firefox et Thunderbird, puis OpenOffice quelques mois plus tard, et qui est en train de basculer définitivement sur une distribution Linux cette année. D'autres administrations ont choisi la même solution et sont en cours de migration. Au contraire, les députés de l'Assemblée Nationale évoquent la brutalité de leur migration de Windows vers Ubuntu il y a un an. S'ils avouent tous, au bout du compte, être globalement satisfaits du choix qu'on leur a imposé, ils rappellent qu'ils ont trouvé que la transition avait été difficile. IAAMV ne souhaite pas imposer une telle difficulté à des personnes qui ont en plus un handicap à assumer. Par contre, en les familiarisant avec le concept des logiciels libres, le passage vers une solution entièrement Linux se fera plus tard avec une plus grande confiance, si elles le souhaitent. 2) IAAMV ne privilégie pas plus Windows que Linux. Parmi les 4 logiciels utilisés sur Windows (NVDA, eSpeak, VMG et ISMAG), eSpeak et VMG sont également utilisables sur Linux. Quant à Orca, exclusivement Linux, il utilise précisément la synthèse vocale eSpeak. Cette précision permet de voir que IAAMV supporte autant les solutions Windows que les solutions Linux. La 2ème partie de la conférence présente les actions en cours de IAAMV. Les campagnes de sensibilisation continuent, et prennent la forme de participation à des salons et forums ciblés (pour le handicap : salons Autonomic, préparation d'une journée porte ouverte à la MDPH - Maison Départementale pour les Personnes Handicapées- de Charente Maritime ; pour le logiciel libre : la semaine de l'Internet en mai dernier, les Rencontres mondiales des logiciels libres ; pour les deux thèmes réunis : les install parties Linux réservées aux personnes déficientes visuelles à Rochefort sur Mer en décembre 2007, à Bruxelles les 7 et 8 juin 2008, à Paris le 14 juin 2008). A la demande, des séances de démonstrations peuvent être prestées (Association Valentin Haüy, Paris, durant les rencontres des clubs informatiques, en septembre et octobre en 2006, 2007, et 2008 ; l'AG du Crédit Mutuel Océan, La Rochelle, mars 2008). IAAMV commence à assurer des formations sur NVDA, VMG et ISMAG, en Charente et Charente Maritime, parfois pour le compte de prestataires professionnels (ce qui entre dans le projet @ntigOOne). Bien sûr, nous suivons la gestion de la liste ALLOS (244 membres le vendredi 4 juillet, près de 5000 courriels échangés depuis octobre 2005). Le plus dur reste l'appel à partenariat. En dehors de plusieurs refus d'entreprises privées, peut-être mal ciblées, il faut souligner l'intérêt que porte la Région Poitou-Charentes au projet @ntigOOne. La Région a entendu l'argument de l'accessibilité nécessaire des nombreux points d'accès publics à l'Internet ou aux renseignements d'intérêt public (bornes interactives communales, cyber locaux, administration en ligne, etc.), et elle accepte de prendre en charge 20% du financement du projet. L'UNADEV (Union Nationale des Aveugles et Déficients Visuels) s'est également montrée intéressée par le projet. Une étude de partenariat est en cours. Mais il faut encore du financement et un partenariat technique orienté vers le développement et l'assistance technique. Pour rappel, @ntigOOne a pour but d'assurer un service d'assistance technique auprès des sociétés et administrations qui emploieraient des travailleurs handicapés visuels. IAAMV doit contacter l'AGEFIPH (agence pour la gestion du fond d'insertion des personnes handicapées), la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) et le FIPHFP (fond pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique). Nous reviendrons sur le problème de l'emploi dans la conférence suivante. Pour terminer, voici l'adresse de téléchargement des divers logiciels soutenus par IAAMV à l'intention de ceux qui voudraient les tester ou étudier leur contenu : NVDA : www.nvda.fr VMG : http://magnifier.sourceforge.net ISMAG : http://sourceforge.net/projects/showfiles.php?group_id=160355 ORCA est disponible sur toutes les distributions de Linux qui utilisent le bureau Gnome. Le support de ces logiciels vous est proposé par ALLOS : http://fr.groups.yahoo.com/group/ALLOS . Enfin, le site de l'association IAAMV reprend tous ces liens sur sa page de téléchargement. Site de IAAMV : www.iaamv.jean-g.info Avant de terminer, je tiens à remercier les partenaires financiers qui soutiennent ou ont soutenu IAAMV : le Fond Social Européen, la Caisse Primaire d'assurances Maladies de La Rochelle, le Crédit Mutuel Océan. Je tiens aussi à remercier toutes les personnes qui ont apporté, à un moment ou l'autre, leur contribution, leurs conseils, leur temps ou leur écoute, et en particulier : - ROCHELUG, le groupe d'utilisateurs Linux de La Rochelle, la Cité des Sciences et de l'Industrie - salle Louis Braille, et bien sûr tous les intervenants de la liste ALLOS ; - Monsieur Bernard Charron, président de IAAMV, et Madame Catherine du Cheyron, trésorière. 2ème conférence, samedi 5 juillet. "Application de solutions d'accessibilité libres en milieu professionnel". Le début de cette conférence est essentiellement un résumé de la première, qui présente les buts de l'association IAAMV. Je ne reproduirai donc ici que les arguments qui justifiaient une ouverture du sujet dans un cadre de maintien ou d'accès à l'emploi. Pour mémoire, j'ai rappelé l'existence de la loi du 11 février 2005, dite "loi sur le handicap", dont le but est d'assurer une égalité des personnes handicapées, que ce soit en matière d'accès aux lieux publics et aux transports, aux activités sportives, culturelles ou économiques. En particulier, cette loi renforce l'obligation des employeurs à utiliser du personnel handicapé, avec des sanctions financières en cas de non respect de cette loi. D'un autre côté, l'Europe met l'accent depuis quelques années sur une plus grande autonomie de son parc informatique, jadis un peu trop lié aux grandes entreprises informatiques américaines. L'orientation politique de l'Europe envers les logiciels libres en général est certainement une question d'économie budgétaire, mais c'est avant tout une question de sécurité et d'indépendance à l'égard des puissances informatiques commerciales. Vous allez comprendre que cette décision que toute l'Europe devrait applaudir est en même temps un piège pour les travailleurs handicapés (non voulu, bien entendu). En effet, les logiciels d'accessibilité utilisés en milieu professionnel sont issus du milieu commercial dont l'Europe veut justement s'affranchir. L'ennui, c'est que au moment où cette orientation politique a été prise (vers 2003-2004), il n'existait aucune solution pratique d'accessibilité dans le monde des logiciels libres, aussi y avait-il un grand danger de voir les travailleurs handicapés retourner à une situation précaire (perte d'emploi au pire, reclassement sur une voie de garage pour un autre pire...) par retrait de leur outil de travail. C'était paradoxal de saluer à la fois une sage décision économique et stratégique d'une part, et de devoir la condamner parce qu'elle allait exclure quelques collaborateurs. Dans l'Etat du Massachusetts, aux Etats-Unis, une situation équivalente a fait monter au créneau les associations de défense des personnes handicapées, qui ont contraint l'Etat à revenir sur sa décision de prendre de l'indépendance informatique, et à retourner sous le joug de l'industrie informatique américaine. En Europe, les associations ne se sont pas prononcées. Quant à la position de IAAMV, elle plus constructive. Nous ne condamnons pas l'attitude Européenne, nous l'encourageons au contraire sur cette voie, mais nous lui demandons d'assurer aux travailleurs handicapés que des efforts vont être entrepris pour accélérer le développement de solutions d'accessibilité libres, alternatives aux solutions commerciales. Si cet effort n'est pas accompli, le monde des travailleurs handicapés va retourner dans la précarité et le non emploi pour au moins 10 ans. Passé ce commentaire, j'ai effectué une courte démonstration des solutions vocales (NVDA pour remplacer JAWS), ou d'agrandissement (VMG, ISMAG et de préférences d'autres solutions à inventer, pour remplacer l'excellent ZoomText), et annoncé pour après la fin de la conférence une démonstration de Orca, en guise d'alternative sous Linux dans de grandes migrations informatiques du monde Microsoft vers Linux. Voyons maintenant le problème de l'intégration de solutions d'accessibilité en milieu professionnel. Ceci est est plus complexe. On peut distinguer deux situations professionnelles très différentes, qui impliqueront une difficulté d'adaptation de poste allant du simple au très complexe. Une première catégorie regroupe les situations simples de la majorité des professionnels indépendants, des travailleurs nomades ou à domicile, de certaines professions libérales et de très petites entreprises ou micro sociétés. La deuxième catégorie regroupe les professions utilisant des logiciels spécifiques, ou travaillant en réseau sur des logiciels internes ou professionnels avec énormément de verrous de sécurité ; autant de situations complexes d'adaptation de postes. Voyons d'abord la première catégorie. Il s'agit de situations professionnelles dans lesquelles l'informatique s'est intégrée facilement, sans faire appel à de l'ingénierie spécifique. Les travailleurs utilisent donc les logiciels les plus courants (Word, Excel et une messagerie basique comme Outlook Express), et s'ils sont déjà un peu en avance sur leur temps, ils utilisent OpenOffice et Mozilla (Firefox et Thunderbird). Personnellement, je n'ai jamais été confronté à des utilisateurs professionnels d'un environnement Linux ou Mac, mais je sais que cela existe, bien que très rarement. Dans ces situations, il est assez facile d'adapter le poste de travail soit avec une loupe, soit avec le lecteur d'écran NVDA, puisque ces produits ont été développés pour répondre à ce type d'environnement. La situation serait encore plus simple, quoi que moins complète(actuellement), pour des utilisateurs de Linux, qui pourraient prendre Orca en mains très facilement. Si je dis, par contre, que cette situation est moins complète, c'est parce qu'elle ne répond pas encore à 100% à toutes les diversités de pathologies oculaires. Mais les avancées d'Orca dans ce domaine sont très rapides, et l'équipe de développeurs, essentiellement organisée outre atlantique, me paraît avancer d'une manière cohérente et bien guidée. Quant au système Mac, il ne connaît pas, pour l'instant, de solution d'accessibilité libre. En résumé, l'adaptation d'un poste de travail utilisant des logiciels de base peut se faire sans difficulté avec les logiciels libres actuels. Il suffirait d'y ajouter un service d'aide technique (installation, assistance en cas de panne, formation personnalisée, etc.) Voyons maintenant la 2ème catégorie, celle des utilisateurs de logiciels complexes, internes, les logiciels dits "métiers", ou les situations de travail en réseau avec des systèmes de sécurité draconiens. Cette catégorie englobe également l'ensemble des accès publics à l'Internet ou à l'administration en ligne (guichets automatiques, cyber locaux, médiathèques). Nous reparlerons de cette sous-catégorie en particulier un peu après. Pour une entreprise qui travaille en réseau, avec un intranet et des logiciels spécifiques, l'adaptation du poste d'un collaborateur aveugle ou malvoyant se fait avec beaucoup de difficultés. D'abord, les manipulations du poste nécessitent les droits de type "administrateur", donc il est impossible d'ajouter un logiciel d'accessibilité, voire de le paramétrer, sans la présence d'un administrateur du réseau (technicien informatique de l'entreprise). Ensuite, comme il s'agit le plus souvent de logiciels privateurs (privateur = non libre de droits d'accès aux sources), il est nécessaire qu'un dialogue s'établisse entre les concepteurs du logiciel d'une part, et les développeurs du logiciel d'accessibilité d'autre part. Pour que le logiciel d'accessibilité puisse accéder au contenu du logiciel professionnel, il faut que celui-ci ait établi des "passerelles" d'accessibilité. Par exemple, un bouton de type "VALIDER", ou "RETOUR AU PRECEDENT", doit absolument être identifiable par le lecteur d'écran. Si le bouton qui porte l'action de valider s'appelle par exemple "IMG325", cela ne signifie rien pour l'utilisateur d'un lecteur d'écran. Trop souvent, des logiciels sont inaccessibles parce que, à la lecture des menus ou sous-menus, le concepteur de logiciels n'a donné comme information utilisable par le lecteur que des informations vides de sens ("Menu1, ss-menu1, ... IMG008..." pour "Menu édition, copier, ... bouton ENTRER...", etc.) Si les développeurs ont bien fait leur travail, il reste alors aux créateurs des logiciels d'accessibilité à reconnaître comment l'accessibilité a été rendue, et comment l'exploiter ou l'interpréter. Ceci montre la somme de travail à effectuer à chaque fois qu'un logiciel d'accessibilité rencontre pour la première fois un logiciel à lire. Ce travail, hélas, n'est pas souvent jugé prioritaire par les entreprises. En revanche, quand ce type de travail est entrepris avec des logiciels libres, les accès à l'interprétation des signes informatiques sont rendus publics, et le travail ne doit pas être refait dans chaque entreprise. Souvent, le travail effectué dans l'une pourra être récupéré dans l'autre, et un gain d'heures de travail pour chacun. Notez aussi que ce travail concerne autant tous les logiciels privateurs. JAWS doit être adapté régulièrement. En ce qui le concerne, ce travail est suivi depuis plusieurs années, JAWS a donc cette avance sur tous ses concurrents, et il y a du travail pour combler ce retard. Mais le jeu en vaut la peine. Pour en terminer, revenons-en aux accès publics et aux cyberlocaux. Voilà bien des endroits sensibles à l'accessibilité. On pourrait croire que la loi du 11 février 2005 oblige tous les responsables d'accès publics et de cyberlocaux à rendre accessible leurs PC publics. Mais imaginez le coût que cela représente, par exemple, rien que pour la poste, qui devrait rendre accessible au moins un PC public dans tous les bureaux de poste en France. Et les bornes SCNF? Et les guichets de banque? Et tous les postes multimédias des bibliothèques et des centres culturels? Ici, plus que pour les entreprise où ces situations sont isolées, il s'agit d'adaptations systématiques, et le coût global pour la France est prodigieux. Il est évident qu'une solution d'accessibilité libre, même avec un service de maintenance payant, serait une option nettement plus abordable que ce qui est réalisable pour le moment avec les solutions commerciales. Après toutes ces explications qui voulaient donner un bref aperçu des difficultés rencontrées pour rendre accessible les logiciels entre eux, et ainsi justifier les difficultés rencontrées pour favoriser l'accessibilité des logiciels libres, même entre eux, je vais évoquer mon expérience personnelle en matière d'intégration de solutions d'accessibilité libres en milieu professionnel. Je vais d'abord évoquer deux situations qui, pour le moment, ressemblent plutôt à un échec (bien que ce ne soit pas terminé), et ensuite j'évoquerai deux situations qui sont une réussite d'accessibilité par les logiciels libres en milieu professionnel. Voyons d'abord les échecs. Une médiathèque d'une petite commune urbaine possède quelques points d'accès à Internet, bridés par un logiciel de contrôle pour empêcher tout accès à des sites non conformes, et pour empêcher tout téléchargement de logiciels ou de produits potentiellement malveillants. D'autres PC permettent d'écouter de la musique, sur base d'un catalogue en ligne réservé à l'usage des médiathèques ; un juke-box du XXIème siècle. Une suggestion de ma part à permis au personnel de prendre conscience de l'inaccessibilité de tous ces points pour les personnes en situation de handicap visuel. Avec l'accord de la mairie, ils ont accepté que j'installe une loupe et un lecteur d'écran, les logiciels n'allant rien coûter à la communauté. Mais il a été jusqu'à maintenant impossible d'installer ces logiciels. En fait, ils ont été bien installés, mais le logiciel de contrôle empêche pour l'instant ces logiciels de s'ouvrir, ne laissant passer que ce qui a été prévu pour l'usage public : le navigateur Internet, lui-même fortement bridé. Une négociation est en cours avec la société qui a installé ces produits. Elle envisage d'intégrer d'office les logiciels d'accessibilité que j'ai proposé dans la future version de son logiciel, qui devrait sortir à la fin de l'année. Un autre exemple. Une administration vient de migrer son informatique vers des solutions libres. Or, une employée utilisait auparavant un agrandisseur vocalisé (ZoomText). Et, en ce qui concerne la vocalisation, ces nouveaux logiciels ne sont pas compatibles avec le système vocal de ZoomText. Nous avons testé NVDA, qui ne peut pas mieux. Il reste à cette dame l'usage du braille, qu'elle maîtrise mal, en attendant une meilleure solution. Il est prévu de rendre NVDA utilisable en braille, mais cela demande encore un gros travail, que l'équipe en place ne peut assumer pour le moment, faute de moyens et de personnel qualifié disponible. Venons-en à présent à deux réussites. Un employé d'administration malvoyant était bien intégré dans son emploi, sur un poste adapté à ses besoins. Mais sa maladie vient d'évoluer, et, malgré que son poste était bien adapté, l'aggravation de son handicap a contraint sa direction à le mettre en retraite anticipée. Pour demeurer en activité, ce monsieur a accepté un poste de gestion dans une association, et pour le moment, la vocalisation de son nouvel environnement de travail avec NVDA, accompagné d'un agrandissement ponctuel soit avec la loupe VMG, soit avec ISMAG (suivant les circonstances de l'agrandissement), lui suffisent en attendant une stabilisation de la vue. De même, un entrepreneur, en microsociété, a pu se contenter de l'agrandissement ponctuel avec la loupe VMG, et d'une possibilité de lecture vocale occasionnelle avec NVDA, à utiliser sur des documents longs. Si son usage professionnel de l'informatique devait évoluer vers l'utilisation de logiciels plus complexes, inaccessibles à NVDA, il serait temps, alors, de migrer vers le lecteur plus professionnel JAWS. La transition se ferait en douceur puisque la plupart des manipulations de NVDA ou de JAWS sont identiques. Ces échecs partiels et ces réussites permettent déjà de tirer quelques conclusions. Du côté des échecs, on en conclut qu'il faut travailler sur : - l'information des clients, - l'information des prestataires de services, - le rassemblement des clients intéressés par ces solutions en groupes de pression (lobbies), pour diminuer leur dépendance actuelle envers les fournisseurs. Du côté des réussites, il serait temps de : - réunir un journal des « réussites » (« success story »), - mieux informer les associations et organismes de financement, - évaluer l'impact économique réel de ces solutions (ce qu'elles coûtent vraiment, ce qu'elles permettent vraiment d'économiser, leur impact économique sur les caisses d'assurances maladie et soins de santé, et leur impact social sur l'intégration des personnes handicapées) - faciliter la diffusion de l'information (bouche à oreille) par la mise en place d'une meilleure documentation et d'un support d'information plus adapté. Ces quatre exemples montrent bien les limites actuelles des solutions d'accessibilité libres. J'ai eu l'occasion de vivre ces quatre solutions soit dans le cadre de mes activités auprès du SIADV de Poitiers (service interrégional d'appui aux adultes déficients visuels), soit lors de mes actions de sensibilisation au sein de l'association IAAMV, dans le cadre du projet @ntigOOne. Le SIADV a pour raison de trouver des aides compensatoires pour des travailleurs en risque de perdre leur emploi du fait d'une dégradation de la vue, ou de trouver les mêmes aides adaptées à une personne malvoyante en recherche d'emploi. En 2006, le SIADV a accepté ma proposition d'adapter, dans la mesure du possible, des solutions libres, ce qui était très innovant comme décision à l'époque. Et le projet @ntigOOne souhaite aller plus loin. @ntigOOne est un projet de service professionnel à rendre aux utilisateurs de logiciels d'accessibilité libres. @ntigOOne a l'ambition de : - aider l'utilisateur à l'installation et à la prise en mains de son logiciel d'accessibilité libre, adapté à ses besoins ; - assurer la formation nécessaire pour un usage domestique. - assister les entreprises et collectivités dans leur travail d'adaptation de poste de travail ou de points d'accès publics - assurer la formation du personnel concerné. - contribuer au développement des logiciels d'accessibilité libres (retour d'expérience ou de bugs informatiques, co-développement, etc.) Pour cela, il faut créer un service, indépendant ou attaché à une administration, comprenant le potentiel humain adéquat (un ou plusieurs formateurs, un ou plusieurs informaticiens capables de dialoguer avec les services informatiques concernés), le nombre de collaborateurs est dépendant de l'étendue géographique du service. Comment financer et gérer ce service? La Région Poitou-Charente a prêté une oreille attentive à ce projet, et accepterait de contribuer au financement (à charge de IAAMV de trouver d'autres partenaires). L'UNADEV (union nationale des aveugles et déficients visuels) a également accueilli le projet @ntigOOne avec beaucoup d'intérêt. Pour l'instant, les propositions de collaboration ne s'accordent pas encore, mais la négociation pourrait aboutir à une gestion de @ntigOOne, par exemple, avec des fonds qu'il reste à obtenir ailleurs. Par ailleurs, cette conférence servira de support à une demande financière pour le projet @ntigOOne auprès de l'AGEFIPH (association pour la gestion de la formation et de l'insertion des personnes handicapées), la CNSA (caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) et le FIPHFP (fond d'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique), 3 organismes qui, à mon sens, sont directement concernés par les économies budgétaires et par l'impact économico-social que devrait avoir le projet @ntigOOne. Ceci termine la conférence, que je voudrais conclure sur les remerciements auprès des partenaires actuels et passés du projet : Pour leur contribution financière : - la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Rochelle, - le Fond Social Européen, - le crédit Mutuel Océan ; Pour leur contribution technique ou logistique : - ROCHELUG, le groupe d'utilisateurs Linux de La Rochelle, - la Cité des Sciences et de l'Industrie (salle Louis Braille) de Paris, - Monsieur Bernard Charron et Madame Catherine du Cheyron, président et trésorière de IAAMV, - et tous les membres de la liste ALLOS! Je vous remercie de votre attention. Jean Gilissen, association IAAMV (informatique accessible aux aveugles et mal voyants, www.jean-g.info ) Fondateur et modérateur de la liste ALLOS (accessibilité des logiciels libres et open source, http://fr.groups.yahoo.com/group/ALLOS ) Responsable du projet @ntigOOne (contact : antigoone@orange.fr)